Dans sa conférence sur les conditions du succès, Alan Bowness définit le premier cercle de reconnaissance de l’artiste moderne par ses pairs. Il y a deux ans environ, Dominique Blais avait invité François Lancien-Guilberteau à l’occa-
sion de son exposition personnelle au centre d’art contemporain Passage, à Troyes. Ce dernier y avait démonté les plafonniers pour faire courir les fils électriques dans l’espace jusqu’à une remise entrouverte et saturée de lumière où les néons allumés avaient été amoncelés sans ménagement. Deux années à la résidence De Ateliers à Amsterdam ont permis à François Lancien-
Guilberteau d’amener sa recherche autour des images, qu’il classe, consomme, analyse…

 

Et s’il n’a pas encore d’atelier, une pièce de son petit appartement est consacrée à son travail : images aux murs, ordinateur, bureau, œuvres emballées dessous… Il parle de sa dernière exposition au Mosquito Coast, à Nantes. Invité par un artiste (encore), Benoît-Marie Moriceau, il a décidé de faire le portrait de la curatrice Maëlle Bescond en geisha. Lancien-Guilberteau documente sa lente transforma-
tion par une maquilleuse professionnelle. Ce curieux travail de mue évoque la place ambiguë que la société assigne aux artistes, où la confiance, l’amitié ou l’intimité sont encombrées d’enjeux professionnels équivoques. En reportant la charge sur la commissaire d’expositions, l’artiste la contraint à l’inaction, mais il installe également les conditions de son propre désœuvrement voyeur.

 

Lorsque l’on interroge François Lancien-Guilberteau sur ses motivations créatrices, il répond : « Bien sûr, il y a une intention dans mon travail, mais je l’oublie en cours de route. Et dans l’idéal, je préférerais qu’il n’y en ait pas. » Sa réponse est désarmante, comme la résonance d’un « I would prefer not to ».

 

Lors d’une exposition récente, François Lancien-Guilberteau montre deux photos d’un défilé de la maison de couture Rodarte, sérigraphiées sur des cartons d’environ 50 cm posés l’un derrière l’autre. Deux femmes figées dans leur déhan-
chement, portent une robe en tissu imprimé reproduisant les célèbres empreintes de mains de la grotte de Chauvet. On retrouve avec cette pièce le jeu de stratifications des iconologies contemporaines, ces couches sémantiques de l’image débordant les unes sur les autres qui ont été au cœur des préoccupations d’un Kelley Walker, par exemple. Mais Lancien-Guilberteau ne prend pas la peine de travestir les images, de les encadrer, ni même d’y apposer la giclure qui va bien, la salissure ou la paillette de bon aloi pour en faire un monstre acceptable de l’art contemporain. Ce sont de simples images de défilés imprimés sur les premiers cartons venus, placés en ligne pour rejouer sans commentaire les ribambelles glacées des fashion weeks. Tout, jusqu’au titre de l’œuvre, Fall/Winter, 2009 témoigne de son retrait, du renoncement à faire des ima-
ges autre chose que les objets d’une réflexion consciente, comme s’il les avait démasquées, à l’usure, derrière leurs déguisements sémanti-
ques superposés.

 

On pense à l’interprétation que Marie-Josée Mondzain donne des peintures rupestres des hommes de la grotte Chauvet qui soufflent du pigment liquide sur leurs mains, puis, par le retrait, contemplent cette partie de leur corps transformée. « Voir une image, affirme-t-elle, c’est saisir le vestige d’un passage, trouver dans cette trace la place du spectateur que nous devenons.

 

L’artiste John Stezaker disait de François Lancien-Guilberteau lors d’une visite d’atelier qu’il était un « drifting artist ». Non qu’il soit à la dérive. Son travail est à l’image du vol des frégates dont l’intuition du vol plané et l’intelligence des courants sont si grandes qu’elles nous semblent suspendues, immobiles. François Lancien-Guilberteau approche l’image du bout des doigts, mais il touche au cœur.

François Quintin

 

Arts Magazine n°74, mars 2013